Petit abécédaire au préambule

L’Équipe Pédopsychiatrie de Briançon

Claire

Nous avons découvert l’argumentaire de l’AFREPSHA, et notre équipe a eu un mouvement d’envie de participer à cette rencontre. Mouvement qui survient à un moment particulier de notre histoire d’équipe : changement de lieu de la structure assez récent, changement de nom, que nous avons choisi pour refléter quelque chose de nos valeurs, départ d’une personne «  historique » de notre équipe, nouvelles arrivées avec un « faux départ », « valse » des cadres… Entre permanence et transformation, nous remettons au travail notre « socle commun de soin ».

Nous nous sommes inspirés d’un texte qui relate le fonctionnement de l’équipe de l’IMP du Courtil à la frontière belge. Cet établissement qui reçoit des patients psychotiques est une des 3 institutions faisant parti du réseau international d’institution infantiles, où un travail de recherche actif, traversé par la clinique lacanienne du sujet, permet que ce lieu de vie thérapeutique mette en place une pratique originale et pragmatique.

Dans ce texte, un soignant du courtil, Amaury Cullard évoque le «  travail à plusieurs ». Selon lui, cette pratique est avant tout « une clinique de l’invention, elle n’est donc pas figée dans sa forme. Il existe pourtant un socle commun qui fonde ces réponses au réel ». Ce réel insupportable pour le sujet qui vient quelque part justifier notre présence comme travailleur dans cette équipe, dans cette institution.

Dans un contexte plus large, notre institution elle-même est dans un moment de changement : Les personnes (directeur, directeur financier), l’organisation administrative (évolution vers le GHT) changent elles aussi.

Écrire pour l’Afrepsha nous a donc semblé une opportunité pour nous remettre en mouvement psychique et ré harmoniser nos pratiques.

Échanger sur nos pratiques, cerner les valeurs qui les sous-tendent, nous « mettre à nu », est important pour comprendre l’autre et se constituer comme équipe. Notre subjectivité est intriquée à notre posture professionnelle.

Nous avons donc sauté dans le vide avec ce titre fourre-tout du «  Petit abécédaire au PréambuLle », et cette question : qu’est ce qui nous permet de soigner en pédopsychiatrie, au PréambuLle ?

La petite forme multiple d’un abécédaire nous semblait répondre au besoin de liberté et de poésie tout en ayant une forme donnée : à chaque lettre son univers infini…

Nous allons d’abord vous parler du PréambuLle, de son histoire, de notre identité, et vous donner un exemple sur notre travail d’équipe.

Dans un second temps nous vous présenterons le Petit Abécédaire des enfants, à partir de quelques vignettes cliniques : A comme Adrien, S comme Sam en passant par L comme Lucien … vignettes qui mettent en lumière nos réflexions d’équipe et notre positionnement soignant.

P comme PréambuLle

Le CMP «Le  PréambuLle », anciennement « Le Parc » se situe près de l’hôpital de Briançon. Nous avons quitté des locaux vétustes pour une villa avec jardin où nous accueillons des enfants de 0 à 16 ans présentant des troubles psychologiques, en CATTP, hôpital de jour et CMP.

Nous appartenons au service de pédopsychiatrie, rattaché au centre hospitalier Buech Durance de Laragne.

Le lieu PréambuLle est concrètement éloigné de son institution de référence, ce qui a un impact sur son fonctionnement.

C’est une petite équipe de 10 personnes dont le fonctionnement très « en autonomie » impulse l’idée d’une équipe « qui doit tenir ».

Peut-être cet éloignement impose-t-il également l’idée d’un ailleurs, cet ailleurs qui nous a souvent permis d’ouvrir notre réflexion ou de faire ces petits pas de côté, ces décalages que l’on pense soignants. …

Chercher notre nom, image extérieure de notre identité d’équipe ; et de ce lieu que l’on fait vivre, reflète quelque chose de nos valeurs de soin.

Le PréambuLle se définit comme un avant-propos, une entrée en matière, ce qui prépare… Nous l’avons pensé comme le point de départ de notre rencontre avec chaque sujet…

De cette rencontre se créée une nouvelle histoire qui amorce un cheminement.

De cette identité, nous retenons l’ambulatoire où le patient est en mouvement physique et psychique et fait des allers retours entre le dedans et le dehors.

Et derrière ce « L » en trop, cette dysorthographie volontaire, nous avions l’idée « d’en bulle », comme dans une bulle : l’idée d’espace intérieur sécurisant et enveloppant.

Si l’on prenait la métaphore d’une rivière, notre équipe, ce groupe de personnes unies dans une tâche commune, garde le cours de sa mission, mais est constituée de gouttes d’eau qui changent au fil du temps. Elle est un groupe humain qui évolue.

L’arrivée d’un « nouveau » dans l’institution engage un travail psychique de l’équipe axé sur la transmission des valeurs et idéaux liés à l’institution et à son origine 1.

Comment s’est jouée cette question pour nous ? Qu’est ce qui cherche à se transmettre ? Qu’est ce qui se transforme au contact de l’autre ?

De plus, les arrivées et départs dans l’équipe amènent une réorganisation de «  l’appareil psychique groupal ». Selon le concept de René Kaës, « une forme d’appareil psychique se crée, au niveau du groupe, en s’appuyant sur le psychisme des individus.»

Qu’est ce qui chez chacun s’est mobilisé et projeté d’une manière différente dans le groupe équipe ?

Comment se poursuit le soin pendant ce temps-là ?

En effet, cette intrication a de nombreux enjeux : nous savons tous l’importance des répercussions du fonctionnement des équipes de soin, sur les processus thérapeutique et l’évolution des enfants accueillies ; ainsi que l’impact de la pathologie de ces mêmes enfants, sur les mêmes équipes et institutions.

Notre expérience de l’atelier piscine vient illustrer nos propos.

1 Paul FUSTIER, Le travail d’équipe en institution, Paris, Dunod, 1999

E comme expérience, P comme piscine

Durant l’été, en réunion d’équipe pluridisciplinaire, nous réfléchissons à l’organisation de l’année à venir. Nous proposons de reconduire l’atelier aquathérapie pour les mêmes enfants de 8 à 10 ans.

Comme l’année dernière, je reste la référente de ce groupe. Mon binôme est encore inconnu car durant l’été, nous ne savons pas si le 4ème poste en hôpital de jour sera pourvu. De retour de vacances, nous sommes heureux d’apprendre l’arrivée, très proche, la semaine suivante, d’une nouvelle infirmière.

Cette nouvelle soignante sera, entre autre, mon binôme pour l’atelier « piscine », ça tombe bien, elle pratique déjà cette médiation, et elle a suivi des formations à ce sujet.

Dans le peu de temps, avant la reprise de l’atelier, nous échangeons nos expériences d’aqua thérapie. Les approches sont différentes notamment sur les rituels d’entrée et de sortie de l’eau. Ma nouvelle collègue, utilise la ronde, cela m’intéresse, c’est un rituel que j’ai déjà pratiqué dans un autre atelier avec des enfants plus jeunes.

Nous choisissons donc la ronde, il m’est important d’accueillir la pratique de ma nouvelle collègue, j’ai « le souci » de lui laisser de la place.

Lors de la 1ere séance, les enfants se dirigent vers les plongeoirs, car l’année d’avant, nous avions l’habitude de débuter la séance par un concours de sauts. Il est difficile, alors, de les ramener dans le petit bain, de se tenir par la main et de faire la ronde.

Les séances suivantes sont de plus en plus agitées, il y a beaucoup d’éparpillement, d’éclaboussures dirigées vers les autres, de bruits aussi, on ne s’entend plus, il est difficile de « rassembler » les enfants.

Moi aussi, j’ai du mal à rassembler mes idées, à me questionner, je crois que je suis comme  » sidérée ».

Ma collègue me dira plus tard qu’elle m’a sentie perdue, et face à cette sidération, elle ne s’est pas permise d’aller plus loin dans sa pratique, elle a retenu son savoir et son savoir-faire. Ce positionnement l’a elle-même figée. Nous étions, finalement, toutes les deux en attente de découvrir la pratique de l’autre, de se retrouver «  dans le même bain », mais chacune attendait l’autre, ce qui a créé un malentendu.

Que se passe-t-il ? Que doit-on comprendre ?

Lors du travail de supervision, qui est réalisé par une psychanalyste extérieure à notre équipe, nous avons pu échanger sur cet atelier, à partir d’études de cas.

Je me suis rendu compte que j’avais perdu le sens du travail, nous n’avions pas basé notre réflexion sur l’objectif de cet atelier. L’objectif principal étant de travailler la place de chacun dans le groupe grâce aux différents jeux proposés : concours de saut, jeux collectifs comme l’épervier ou le waterpolo, combat de frites ou le fameux bateau qui chavire dans la tempête.

Nous n’avions eu que des échanges « théoriques » autour du corps, de la sensorialité. Nous n’avions pas suffisamment discuté du déroulement et du cadre des séances. Nous avions laissé de la place à l’autre, mais peut être trop de place, quitte à ne plus pouvoir occuper notre place soignante.

Le vide n’est-il pas sidérant pour chacun ?

Ces échanges théoriques n’étaient que les prémices, nécessaires, pour poser les bases d’un langage commun ; mais il en faut bien plus pour créer un socle auquel chacun peut s’accrocher.

Notre supervision d’équipe a permis de libérer la parole et de réactiver notre pensée.

Ma collègue a vécu ce temps de réflexion comme un outil permettant d’aller à la rencontre de l’autre, de mettre de la souplesse et de trouver un équilibre juste, dans le positionnement soignant en prenant en compte la singularité de chacun.

Enfin, je pouvais mettre en lien l’agitation, l’éparpillement des enfants du groupe avec un manque d’anticipation, de ne pas avoir pensé les changements. J’avais mis en avant mon envie de laisser un maximum de place, de faire un bon accueil à ma collègue nouvelle. Je me suis sûrement empêchée de voir que le changement est source d’insécurité, que l’adaptation au changement demande un effort, je ne l’ai pas pensé pour le groupe des enfants, et encore moins pour le groupe des soignants.

Finalement, il faut du temps et une bonne dose d’adaptation pour apprendre à travailler ensemble et construire une relation de confiance. C’est seulement à partir de là que notre projet thérapeutique a pu reprendre sens et redevenir soignant.

Céline

Ce travail de recherche de juste place entre soignants, de l’équipe; nous permet également un réajustement de notre place soignante face à l’enfant.

Dans notre travail quotidien, nous sommes sans cesse dans des allers-retours entre le groupe et l’individuel, et ce sur plusieurs plans : dans la réalité, au niveau de la clinique, dans des mouvements psychiques, dans nos croisements de regard, avec le possible de chaque enfant…

Nous allons continuer notre petit abécédaire autour de 3 vignettes cliniques qui illustreront notre fonctionnement d’équipe.

A comme Adrien, S comme Sam en passant par L comme Lucien

Pour commencer, A comme Adrien, mais aussi A comme Ailleurs

A comme Ailleurs :

Depuis quelques années, nous sommes engagés dans deux espaces d’élaboration qui nous accompagnent dans le besoin de se décaler pour soigner : une supervision d’équipe, où revient souvent l’idée de soulager le sujet de nos attentes et demandes, et « l’antenne clinique », où nous présentons régulièrement un enfant pour lequel nous nous questionnons. Ce dispositif de l’Ecole de la Cause Freudienne invite un enfant en soin en institution pour un temps d’entretien unique avec un psychanalyste, devant une assemblée « d’étudiants ». Le psychanalyste place l’enfant en situation de celui qui sait sur lui-même et présente l’assemblée comme un groupe essayant de comprendre comment pensent les enfants, comment il se débrouille avec le langage. Environ 2 mois plus tard, un retour de ces réflexions est fait à notre équipe.

A comme Adrien :

Adrien, 7 ans est suivi en pédopsychiatrie depuis 4 ans.

A chaque arrivée sur l’hôpital de jour, Adrien pose en équilibre sa veste, ses gants sur le banc, et part directement dans la salle de jeu où il construit pendant 1heure des circuits de train qu’il faut bien fermer.

Le contact avec les autres, enfants comme adultes, lui est difficile. La présence et la demande de l’autre sont-elles trop pour lui ?

Il faut du temps à Adrien, avant de venir à l’atelier « peinture. »

Une fois installé, Adrien mélange toujours les mêmes couleurs le rouge et le jaune, couleurs de Super Mario. Il se recouvre les doigts et fait des traces sur sa feuille en tentant d’expliquer son jeu vidéo avec un langage décousu.

Adrien est difficile à arrêter, comme son jeu qui recommence toujours.

Il faut du temps à Adrien pour arrêter de peindre, et l’arrêter dans son histoire de Mario. Histoire envahissante qu’il ponctue de « en fait », « mais », « en plus » où il est très difficile de se repérer et qui tourne en boucle, sans cesse.

Nous étions arrivés à un moment où notre agacement, face à cette répétition était grand, et nous renvoyait sans cesse à y « aller davantage » pour pouvoir aider Adrien. Nous étions de plus en plus dans un face à face direct, insupportable pour lui et pour nous. Les demandes directes ne lui permettaient pas du tout de s’apaiser mais au contraire renforçaient ses angoisses dans la relation à l’autre.

Comment aider Adrien à s’apaiser, à s’arrêter ? Comment l’aider à trouver ses solutions dans sa relation aux autres ?

Nous avons eu besoin de trouver un décalage dans la prise en charge d’Adrien. Expérimenter le « Savoir ne pas savoir » nous a permis d’aller chercher un ailleurs.

Nous avons donc fait appel à ce groupe de psychanalystes, « l’antenne clinique de Gap », qui propose d’aider les équipes soignantes à réfléchir, à partir d’un entretien unique avec l’enfant.

La participation de l’enfant à cet entretien est proposée et travaillée en amont, avec l’enfant lui-même et sa famille, comme un outil thérapeutique.

Lors de la présentation, Adrien est mis en situation d’être celui qui sait.

La psychanalyste se laisse guider par le sujet qui a son propre savoir, avec le parti- pris que ce qui le déborde est la base de ce qui sera peut être une solution pour lui.

Adrien parle facilement, sans tenir compte de l’assemblée. Les mots s’enchaînent.

L’usage répété plusieurs fois, de locution adverbiales « en + », « en fait », permettent à Adrien de maintenir une continuité. Et au fil de l’entretien, nous voyons son discours s’organiser

La psychanalyste très à l’écoute, reprenant ses mots, sans demandes directes, lui a peut-être permis d’organiser quelque chose dans son langage.

Partir de ce qu’il dit, c’est peut être un moyen pour qu’il attrape notre monde.

Il cherche par le langage à organiser ce qui le déborde et ainsi mieux appréhender le réel.

Le positionnement de la psychanalyste nous a rappelé comment viser l’apaisement, essence de notre travail en institution, afin que l’enfant puisse se sentir moins agressé par l’autre : S’effacer, se décoller, être à côté, et non en face à face, a créé un écart. Être entendu, lui a peut-être permis de sortir de ce qui le déborde.

L’antenne clinique nous a donc aidé à laisser Adrien tranquille, en nous dégageant de la relation trop directe. Elle nous a permis d’entendre différemment ce sujet et de faire un pas de côté.

Après cet entretien unique et nos échanges cliniques en équipe, Adrien, semble pouvoir, maintenant, trouver quelques solutions pour occuper une place différente.

A l’hôpital de jour, dès son arrivée, il enlève, maintenant, les vestes du porte manteau, pour se faire une place en mettant ses vêtements dans un ordre précis et disant : « il faut une place à Adrien ».

Dans la salle de jeu, Adrien accepte davantage la présence de ses pairs, même si il ne joue pas encore avec eux.

Les ateliers « peinture » sont différents. Il y vient de lui-même, plus facilement.

Un jour, Adrien arrive dans l’atelier en disant, « j’arrête de mélanger les couleurs ».

Effectivement, en arrivant dans la salle, il prend des crayons et se met à dessiner « le ciel bleu », la terre et de l’herbe. Il dessine le soleil en haut, la lune en bas et explique qu’après ça s’inverse. Il parle du jour et de la nuit.

Pour la première fois, Adrien réalise un dessin construit avec les prémices d’une histoire.

Que s’est-il joué ?

Adrien peut maintenant nommer qu’il n’en peut plus des autres. Il dit qu’il aime bien être tranquille, mais en parallèle il supporte davantage la présence des autres.

Il trouve des points d’arrêt dans ses productions, et même si il déborde parfois de sa feuille, c’est pour dessiner un portail, une barrière… des choses qui arrêtent.

Il fait des tentatives pour expliquer aux autres enfants son jeu vidéo de super Mario. Il met un peu de nuance et s’il y a trop de présence, il se met en « mode protection », dit-il.

Il peut maintenant nommer des émotions qui le traversent.

Adrien est au travail, il trouve des solutions quand le trop le déborde.

S comme Sam

Sam est un garçon âgé de 10 ans. Il arrive au CMP, après déjà un long parcours de soins, Ses parents peuvent dire que leur fils est autiste.

Sam prend tout, au pied de la lettre. Un jour, par exemple, Sam s’est figé devant un panneau de signalisation, c’était un sens interdit. Bien que nous lui ayons expliqué que cela ne concernait pas les piétons, il lui était impossible d’avancer.
D’ailleurs ses parents aussi parlent de cette impossibilité à avancer, à sortir, Sam veut rarement aller hors de la maison. Lors d’une consultation médicale nous abordons ces difficultés alors nous proposons que Sam vienne à l’atelier thérapeutique « marche », sur un temps d’observation.

L’atelier « marche » est proposé à 5 enfants, et deux soignantes en sont référentes. L’objectif de cet atelier est d’accompagner l’enfant à « être », être à l’extérieur, être avec soi-même, être avec les autres. Au cours de la marche, le groupe se fait et se défait. Nous prenons le temps de parler de petit rien ou de choses importantes avec chacun, au rythme de nos pas. La parole est légère, nous ne sommes pas dans un face à face mais dans un « côte à côte ».

Pour cet atelier, Sam arrive comme les autres enfants à 9h, il feuillette souvent le magazine qu’il amène de chez lui, cela le rassure et en même temps lui permet d’entrer en relation avec ses pairs. Au moment du départ, alors Sam se plaint, il est fatigué, il ne veut pas sortir, il se réfugie dans d’autres pièces. Pendant que les autres enfants s’installent dans le véhicule, c’est souvent moi qui prends du temps avec lui, je négocie, je porte sa veste et je le guide vers le véhicule. Même si ce temps de transition est difficile, Sam peut profiter de la ballade.Au début, il est toujours seul en tête, il cherche les panneaux indicateurs. Mais au fur et à mesure, il intègre les petits groupes souvent pour des jeux de guerre, il peut être en relation duelle avec un autre enfant, ou solliciter l’adulte pour parler…

Avec le temps, nous constatons que Sam « s’assouplit » lors de la ballade. Mais par contre, le moment du départ est de plus en plus difficile pour Sam.

De retour des vacances de Noel, Sam, en arrivant sur l’hdj, dit qu’il ne veut pas sortir, il reste figé et répète en boucle, cela pendant 1 heure. Lors de l’habillage, Sam revendique son refus d’aller dehors. Je me sens démunie, je pense, à ce moment-là, qu’il est nécessaire d’être ferme pour permettre la poursuite de l’atelier, je lui prends donc la main, et l’amène à la voiture.

Durant le trajet, il déverse sa colère, il nous insulte.
Arrivé sur le parking de la ballade, Sam ne sort pas du véhicule. Il reste allongé sur la banquette, sans mots. Je vais le voir, lui propose calmement de l’aider à sortir. Plusieurs fois, Je lui dis qu’il faut peut-être que je le porte, Sam ne répond pas. Alors je le prends dos contre moi, en me disant qu’il va, peut-être se débattre, mais au contraire, il est mou, lourd, sans axe.Je le porte et le dépose dans les bras de ma collègue qui l’attend devant la portière. Au moment de ce « transfert », dès que je le lâche, je croise son regard. Et il me griffe au visage.

Avec ce geste, je ressens que ma présence et mon positionnement vis-à-vis de lui, sont insupportables. Déstabilisée, je comprends qu’il faut me décaler de cette situation, aussi, je souhaite en parler en supervision. Lors de cette reprise clinique, je nomme mon sentiment de culpabilité, d’avoir été dans une position de toute-puissance en miroir à celle de Sam. J’ai besoin de l’équipe pour faire tiers dans cette relation qui est devenue frontale, et pour temporiser mon « trop » de présence.

Nous nous questionnons sur plusieurs axes:
– Premièrement pourquoi est-ce toujours moi, qui demande à Sam de se préparer pour sortir?

– Deuxièmement comment décaler la demande vis-à-vis de Sam ? Cette demande adressée qui l’intruse et l’agresse.
– Troisièmement, l’atelier thérapeutique « marche » est-il le bon support ?

Nous répondons très vite à cette dernière question, nous notons les progrès de Sam, qui peut maintenant intégrer le groupe et peut trouver une place. Sam est plus souple dans sa relation aux autres.

Nous statuons sur le fait que ce n’est pas l’atelier « marche » qui n’est pas adapté, mais plus tôt le temps de transition, ce temps de passage du dedans au dehors, qui est problématique pour lui.

Nous cherchons des pistes, de réflexion pour apaiser Sam dans ce temps de passage.

Il est, manifestement, nécessaire de dégager Sam de nos demandes directes qui semblent le mettre «  dos au mur ». Nous décidons de nous appuyer sur des phrases dites à la cantonade…

Nous avons repéré que Sam recherche les panneaux, est-ce pour lui un moyen de s’accrocher, de faire une tentative d’organisation ? Aussi pourquoi ne pas lui proposer d’imaginer le circuit de la ballade ? Cela pour permettre la continuité et rendre le temps de transition plus supportable.

Une autre piste de travail s’appuie sur les objets, ces objets que Sam dit emmener pour se protéger. Nous nous souvenons, que l’été dernier, il avait amené son sac de randonnée, et que les départs en sorties, nous semblaient plus faciles.

Alors, nous demanderons donc aux parents de Sam de préparer un sac « spécial sortie ».

Enfin, en supervision, nous reprenons la question de ma présence répétée auprès de Sam. Nous pointons les aléas des changements dans l’équipe infirmière, avec une première, puis une deuxième infirmière en binôme avec moi.

Je me suis sentie seule, sans relais possible, sans retour primordial. Ce feed back nécessaire pour réajuster mon positionnement.

Dans cet espace de parole sans jugement, J’ai pu également demander le soutien de mon nouveau binôme, pour permettre ce 2, nécessaire face à l’enfant, qui fait tiers et qui permet se relayer dans les situations difficiles.

Cette supervision et les pistes de réflexions qu’elle nous a apportées ont eu des répercussions visibles dès le mercredi suivant.

Ce jour-là, Sam m’explique qu’il est «équipé», et me montre son sac à dos, avec sa gourde, ses lunettes.

Dès qu’il a enlevé sa veste, Sam entreprend de fabriquer des panneaux qu’il scotche sur les portes de l’HDJ.  Sur la porte d’entrée, par exemple, il inscrit d’un côté « Bien venu » et de l’autre « merci de votre visite ». Dans le couloir, il installe un panneau avec des flèches directionnelles indiquant le chemin pour se rendre dans chacune des pièces. Il nomme la fonction de chaque lieux et inscrits les règles spécifiques (comme par exemple : Salle calme : interdit de se battre, pas d’excitation).

Il fait cela rapidement, il est très concentré, très sûr de lui, nous ressentons son besoin d’organiser l’espace, et peut être son monde.

D’un ton générique, ma collègue et moi, nous disons qu’il est l’heure de se préparer, en faisant attention de ne pas « pointer » Sam. Alors il prend sa veste et son sac. Sam est le premier dans les escaliers près à sortir.

L comme Lucien

J’ai choisi de parler de mon travail avec Lucien car c’est un enfant que nous rencontrons tous dans notre service, et dont nous avons parlé à plusieurs reprise dans ces «  ailleurs » qui constituent des repères de notre pratique (réunion d’équipe, bien sûr, mais aussi temps de supervision et antenne clinique). De plus, c’est un enfant qui m’a beaucoup touché de par sa perméabilité psychique, et pour lequel j’éprouve, si ce n’est de l’amour, une tendresse particulière (qui n’évite pas l’agacement parfois !). Enfin, Lucien est un enfant pour lequel je me questionne régulièrement sur le sens du travail individuel avec lui.

Amaury Cullard, dans ce texte qui nous a si bien parlé, évoque le parti pris dans leur institution « de se laisser guider par le sujet qui a assurément un savoir sur le réel que nous ne possédons pas ». La difficulté, dit-il « est alors souvent que ce qui pose problème, ce qui déborde le sujet, qui s’impose à lui est la base de ce qui sera ou peut être la solution du sujet. C’est souvent dans cette impasse, très complexe à gérer et qui peut durer, que le partenaire, peut être amené à introduire un signifiant ou un savoir-faire qui va permettre au sujet d’inventer une protection. »

Comment mon travail avec Lucien s’inscrit-il dans cet ensemble où nous essayons de travailler «  à plusieurs » ? Comment me laisser guider par ce sujet avec toute l’attention à ce qui pourrait lui permettre d’inventer ses solutions, en laissant les choses se dérouler dans la durée alors même qu’elles semblent patiner parfois, tout en veillant à ne pas s’enliser dans un travail en individuel s’il n’avait plus de sens.

Lucien vient au CMP depuis septembre 2016. Il a 5 ans et sa maman consulte car il a des moments de crise où il crie et n’écoute plus, parce qu’il a des comportements parfois agressifs ou touchant à l’intimité de sa petite sœur de 9 mois, et parce qu’elle remarque que sa parole est infiltrée de mots inventés.

En parallèle des consultations avec la pédopsychiatre, je le reçois en psychothérapie. Il rencontre également la psychomotricienne et intègre un groupe à l’hôpital de jour.

Dans le premier temps des séances, Lucien m’apparaît comme un petit garçon dont le discours et les jeux sont très déliés, de même que son langage à la fois très correct et parsemé de mots inventés. Dans l’échange, il peut être complètement dans son monde et tout à coup, reprendre accroche à l’autre : «  tu veux jouer avec moi ? ». Il est tour à tour «  très mignon » ou assez virulent. Dans son univers, des thèmes de guerre, de dévoration, et beaucoup de références aux bébés. Ses jeux sont peu construits. En séance, Lucien alterne des moments où l’excitation monte, et des moments plus calmes. La relation duelle semble cependant supportable pour lui, et l’espace thérapeutique parait investi.

Puis durant une longue période, Lucien vient, s’installe sur mes genoux, s’appuyant contre moi, le pouce dans la bouche, et m’ordonne de lire, sans qu’aucun échange autre que celui-ci ne puisse avoir lieu. Lucien est apaisé en séance, mais malgré mon amour pour la littérature enfantine, je me questionne sur le sens du travail avec lui car rien ne se parle autour de ces livres. Au cours de ce travail, j’ai été gagnée par le découragement, perdant parfois le sens du travail de psychothérapie. C’est le partage de regards avec mes collègues, la supervision et l’antenne clinique qui dans ces moment-là ont permis de remettre en lumière l’évolution de Lucien, de retrouver le sens des séances.

A la rentrée 2017 Lucien est dans un nouveau groupe, et l’équipe soignante, en plein mouvement comprend deux nouvelles soignantes. A l’hôpital de jour, Lucien est agité, il revient à des comportements qui s’étaient pourtant apaisés, il peut difficilement s’appuyer sur les solutions qu’il avait trouvé (lire à l’écart, dessiner). Il entre dans une relation très conflictuelle avec un autre enfant, relation qui se transforme par la suite en relation fort adhésive.

Face à sa difficulté à s’apaiser, nous nous posons en réunion d’équipe la question de sa place dans ce groupe. Que se joue-t-il pour lui ? Comment l’accompagner dans ce moment particulier ? Comment articuler encore une nouvelle fois le travail ensemble autour de cet enfant ? Nous décidons de nous laisser encore un temps pour comprendre

Je le reçois sur son temps d’hôpital de jour, en début de matinée. Lucien arrive donc dans le groupe d’enfant et doit en repartir assez vite. Chaque mercredi je descends donc lui proposer ce temps pour lui.

Mais alors que Lucien venait assez facilement à ses séances de psychothérapie, il est très régulièrement dans le refus. Il s’oppose, évite mon regard, me crie de me taire… C’est donc chaque fois la surprise… viendra-t-il ou ne viendra-t-il pas ?

Lorsqu’il vient, il m’adresse cependant quelques paroles comme des blocs isolés, comme celles-ci : «  En bas ils sont timbrés, ils pensent que je souffre » ou encore «  je viens toujours armé ». Ses jeux s’organisent et il erre moins. Lorsqu’il ne vient pas, je lui signifie le début et la fin de la séance, lui disant que je l’attends s’il souhaite venir.

Sans m’en parler, mes collègues se demandent si elles doivent intervenir, comment ? Pourrait-t-on par exemple proposer à l’enfant à qui il se colle de l’accompagner ? Où bien faire une séance dans l’une des salles de l’HDJ ?

Alors… viendra, viendra pas ? Un matin, à l’hôpital de jour, tentant d’argumenter pour qu’il me suive, je demande à l’autre enfant d’attendre pour leur « mission » et de reporter leur rendez-vous après la séance de Lucien. L’autre enfant accepte et Lucien, comme autorisé par un tiers reprends le chemin du bureau. Il y découvre un livre sur les dinosaures qui capte son intérêt et qu’il s’approprie, puis lors d’une nouvelle séance il y a entre nous un effet de surprise, quelque chose qui se tisse autour d’un de ses jeux plutôt stérile et excitatoire : « superdino » (en fait un rhinocéros) qui casse tout. Lucien en dit à un moment qu’il a de «  de gros muscles » et lorsque j’ajoute «  ah oui, mais pas de cervelle », Lucien me regarde, surpris et peut temporiser son excitation et être dans un échange où il parle de ses héros préférés, Tintin et Blake et Mortimer. Un peu plus tard dans la séance, j’ajoute que Tintin, il est pas fort, mais qu’il est malin…

Le lien thérapeutique semble de nouveau pouvoir tenir. La semaine suivante, il m’attend avec dans les mains, une BD de Tintin. Il me demande de la lire. Je lui propose de ma la raconter lui, puisque c’est le spécialiste. « moi, je peux pas lire » dit-il, nommant pour la première fois une difficulté. Cet intérêt pour Tintin peut-il lui servir d’étayage, faire partie de ses solutions ? Mais Mille Sabord, ce Tintin que j’essaie de saisir comme un levier thérapeutique s’échappe encore…

En effet, les jours se suivent et ne se ressemblent pas… Ce matin-là Lucien est à l’HDJ dans la pièce de repos avec deux enfants.

Une soignante à l’hôpital de jour intervient, elle fait sortir les enfants laissant Lucien seul avec moi. La soignante lui propose, elle aussi, d’aller à sa séance « tu es un peu dispersé, depuis ce matin, ça pourrait t’aider à te poser. Je te garde tes armes ». Lucien demande confirmation que ses affaires sont bien gardées, et il monte dans le bureau ou il met d’emblée en scène un policier, en me disant «  parce que tu es hors de la Loi ». Pourquoi ? «  Parce que tu donnes des rendez-vous aux enfants ». Se pourrait-il que mes «  irruptions » dans son monde de l’hôpital de jour soient ce qui me rend «  hors de la loi ? ». Lors de cette séance, Lucien est silencieux, calme, à son affaire. Jusqu’à ce qu’une de mes paroles, parole de trop rompe un équilibre sans doute fragile. Il détruit tout et veut sortir. Nous mettons fin à la séance, peu après.

Alors, mercredi prochain, viendra-t-il ?

Et si le travail avec Lucien : c’était, pas à pas, de tisser une continuité faite de présences et d’absences, de début et de fins ?

Conclusion

En conclusion, qu’est ce qui nous permet de continuer à soigner au PréambuLle ?

Les contraintes nous permettent-elles encore d’expérimenter la dimension humaine de la folie qui s’oppose à la norme ?

Ce flot de contraintes : demandes de l’ARS, de la société, éloignement du centre hospitalier Buech Durance, changements d’équipe etc… sont de plus en plus présentes et pourtant nous nous employons à les transformer en force…  

Nous avons fait le choix de prendre l’enfant là où il en est de son histoire, en lui permettant d’exprimer son symptôme, qui a quelque chose à nous dire.

Nous prenons le temps de l’écouter pour le rencontrer comme sujet et ainsi de l’accompagner dans son cheminement, à son rythme.

Le fait d’être éloigné, nous demande un engagement, il nous faut « tenir bon », mais nous laisse aussi une liberté pour créer.

En parallèle de ce qui est stable dans notre travail en pédopsychiatrie, les changements nous permettent de prendre conscience de nos fonctionnements et de nos valeurs, de les transmettre et de les transformer, afin d’apprendre à travailler ensemble et créer une relation de confiance, pour accueillir au mieux les enfants et leur symptômes.

Souvent face à une situation de blocage, d’impuissance, de contraintes, de pressions tant du côté de l’équipe, que de l’enfant, l’écart n’est plus possible.

Constater et accepter de « ne plus savoir » nous guide vers cet ailleurs qui réactive notre pensée. Aller chercher l’ailleurs nous permet, en effet, un mouvement psychique, une ouverture, et de tendre vers la clinique de l’invention tout en mettant au travail ce socle commun de soin.

Nous constatons, suite à cet écrit, qu’à chaque fois que nous écrivons un texte, souvent dans des moments de grands changements dans l’unité fonctionnelle, l’équipe arrive à la même conclusion : ce besoin de faire un pas de côté, un besoin d’ouverture.

Finalement n’est-ce pas là, une des bases importante, de notre socle commun ?

Ainsi notre équipe soignante peut se permettre de se décaler, de respirer, de s’étonner, de vivre des expériences de l’inconnu, de se laisser à être, à faire, et dessiner avec l’enfant un bout de son histoire.

Retrouver le plaisir d’être en équipe, d’être avec les enfants, d’entendre des langages différents, de ne pas toujours chercher le sens, de se permettre de créer afin de sortir des cases, accepter le discours particulier voire fou, nous laisser emmener dans des univers particuliers, proches du surréalisme parfois…

Tout cela nous permet de garder le plaisir d’être ensemble, de découvrir les talents de chacun, d’être en mouvement et de se laisser surprendre. C’est tout cela qui nous fait parler d’amour pour notre travail.

Finalement, d’avoir écrit ce texte et de vous le lire, est aussi un ailleurs qui a permis de faire circuler la pensée.

Ces journées de l’Afrepsha font partie de la boite à outil thérapeutique dont les équipes, en tout cas, la nôtre, peuvent se saisir.

Notre abécédaire, le socle commun des 26 lettres de notre alphabet, et la liberté infinie, pour chaque équipe, d’inventer pour chaque lettre, tout un univers…

A comme Ailleurs, Accueil, Apaisement, Amour, Agacement…

B comme Beau, Bienveillance …

C comme Créativité, Cariatide, Contenir, Croiser les regards, Compétence, construction…

D comme Différencier, Diagnostic, Décalage, Découragement …

E comme Echanger, Encore et encore, Equipe, Enfant, Ensemble, Ecart, Expériences, Ecoute, Evolution, Elaboration…

F comme Fluidité de la pensée…

G comme Groupe …

H comme Hypothèses, Histoire…

I comme Individus, Impuissance, Ici et maintenant, Inconnu, Incasable…

J comme Jeu..

L comme Liens…

O comme Ouverture d’esprit…

P comme Plusieurs, Parole, Présence, Parents, Pathologie, Pensée, Partager, Potentialités…

R comme Regards, Rencontre, Réflexion, Relais, Rire …

S comme Surprise, Supervision, Séparés, Sujet, Soutenir le Sujet dans ses Solutions …

T comme Transfert, Transformation…

V comme Valorisation…

Z comme Zut, tout ce qui ne peut pas se dire !